J’avais demandé à ma sœur si elle voulait bien donner son point de vue sur notre vie et le voici – David
Je crois qu’il était temps que je m’incruste, du moins le temps d’un article. Mais il fallait que j’y pose ma patte, histoire de faire un petit coucou de loin puis de repartir de mon côté gentille-ment.
Il risque d’être très personnel cet article, n’y voyez aucune objectivité, juste un témoignage.
Un témoignage oui car j’ai été témoin tout le long de ma petite vie de chemins assez inhabituels, de choses qu’on rencontre rarement. Je ne dirais pas de choses « horrible » ou « épouvantables » car pour moi ces choses sont dans ma norme.
Ce qui est dans ma norme depuis toujours et qui est sûrement différente de la tienne, c’est d’avoir fait du roller en m’accrochant aux poignées du fauteuil roulant. C’est aussi d’avoir couru, couru pour aller plus vite que le fauteuil électrique et de tenter d’arriver première. Ce qui est dans ma norme tu vois, c’est de voir défiler des dizaines de médecins, de kinés et autres dans l’appartement tout au long de mon enfance et de ne pas me poser de question.
C’est aussi d’avoir peur d’une chute, d’une complication, de la souffrance. Peur de la jalousie de l’autre par rapport à mes jambes et à mon corps, qui lui fonctionne, et de la tristesse qui pourrait en découler. C’est avoir une haine permanente du regard des gens qui jugent avec cruauté et sans aucune bienveillance. C’est avoir cet esprit de défendre l’autre corps et âme, c’est également prendre l’habitude de raconter la même histoire, d’expliquer les mêmes choses avec désinvolture et de subir les regards de pitié. C’est savoir se mettre en retrait lorsque le handicap prenait trop de place, se cacher dans un coin et se dire que c’est plus important.
Ma norme maintenant c’est aussi changer de pronom en parlant de ma famille, c’est se lancer le défi de dire « mon frère » quand j’en parle à quelqu’un pour la première fois et de se dire « c’est pas grave si tu n’y arrives pas, tu le diras la prochaine fois à quelqu’un d’autre ». C’est oublier l’ancienne voix, c’est lutter pour admettre un nouveau prénom.
Mais la norme qui devrait être celle de tout le monde, ça devrait être d’accroître notre tolérance, d’avoir un regard doux et bienveillant plutôt que critique et ignorant et surtout, de s’autoriser à en apprendre toujours plus des autres.