Ma relation avec mon corps n’a jamais été simple, disons que si nous avions pu divorcer, nous l’aurions fait mais ce n’est pas vraiment possible. Je suis capable d’écrire ces lignes car aujourd’hui les choses sont apaisées, on a appris à s’aimer.
Déjà, il faut savoir que de par mon handicap, mon corps vit un peu en marge de moi-même. Mon handicap a une origine neurologique et donc, mon cerveau et mes muscles complotent un peu contre moi par moments, ce qui crée des mouvements involontaires des jambes, des raideurs, des contractures… Autant te dire que dès le départ, je ne me sens pas vraiment propriétaire des lieux.
Puis avec l’âge sont arrivées les limites imposées par ce corps, les impossibilités, les soins et le fossé qui se creusent entre moi et mes pairs. On devient celui qui ne va pas en cours de sport, qui a plus de temps pour les contrôles et qui ne fait pas la queue à la cantine. Un collège étant un écosystème extrêmement hiérarchisé, ces différences sont perçues par les autres comme des privilèges et on tombe vite dans la catégorie des gens « pas cool ». Et puis autant te dire que les supers attelles dont tu as hérité après les opérations ne sont pas des accessoires fashion.
Ensuite est arrivée la période critique du lycée, moment de crise pour tout le monde où l’appartenance devient primordiale mais aussi où le rapport à l’autre évolue. On fait face aux premiers émois et on court (on roule) vers « la première fois », comme si le faire en premier pouvait nous faire gagner la médaille d’or. Les copines s’inquiètent de la douleur, des saignements, du partenaire à trouver, du moment où les parents ne seront pas là… Et moi, ce qui me taraude est de savoir si ça va m’arriver un jour et si c’est « techniquement » possible. Autrement dit, aurai-je les capacités physiques nécessaires pour faire l’amour ? Je vais t’éviter un suspens insoutenable, oui, j’ai réussi. Et la sexualité m’a permis de réaliser que mon corps était capable de positif et de faire quelque chose de beau.
Mais revenons à nos moutons, comment mon corps et moi avons fait la paix. Grandir m’a forcé à toujours aller plus loin, vouloir plus et cet élan vital d’autonomie n’a pas eu que des conséquences positives. Notamment, j’ai cherché à faire taire mon corps. Marcher toujours plus, ne pas écouter la fatigue, refuser de l’aide, tout ça pour me prouver que j’étais plus fort que mon corps. Cette guerre a duré plusieurs années, mon corps à souffert, les limites se sont imposées. C’est bien joli de vouloir laver le sol soi-même mais quand ça te prend plusieurs heures et qu’ensuite tu peux ne plus bouger du canapé, est-ce que ça valait vraiment la peine ? Il m’aura fallu beaucoup de temps et de batailles perdues pour comprendre que non. Demander de l’aide ne rend pas faible ni moins capable. L’autonomie n’est pas forcément tout faire seul(e) mais savoir demander de l’aide pour certaines tâches pour pouvoir accomplir les plus importantes seul(e).
Maintenant que j’ai compris ça, mon corps et moi avons repris notre paisible colocation.